Nouveau monde [PV Nits Mew]

Il était 15h à peine, et il avait déjà blessé quelqu'un. Deux personnes, même, car cela lui faisait mal, de faire du mal aux autres. Mais au fond, lui, ce n'était pas tellement important... Kiyanel s'en voulait, il n'avait pas voulu faire souffrir Yui, mais il ne pouvait rien faire à présent. Il ne pouvait pas revenir sur ce qu'il avait dit. Si jamais une autre occasion de parler quelqu'un ou de guider un nouvel élève se présentait, il aviserai pour ne pas refaire la même erreur. Un bloc de glace, dès le départ. Ce serait ça, sa stratégie, une fois de plus. Il verrait les gens s'éloigner de lui et se faire des groupes d'amis, discuter entre eux et ne pas l'approcher. Il serait sans doute craint, comme les années précédentes et personne ne voudrait être son ami. Ce serait sans doute mieux comme ça, il ne risquerait pas de faire souffrir quelqu'un d'autre... Il ne fallait pas que ça recommence, comme avec Miriel et Astériel.

Il soupira légèrement, passant dans le hall. C'était là que, quelques heures plus tôt, il avait croisé le neko, en cet endroit précis du hall d'entrée. Pourquoi était-il revenu ici ? Pour être seul ? Parce qu'il avait des remords ? Parce qu'au fond, il aurait aimé tout recommencer ? Parce que... Il ne le savait pas vraiment, c'était peut-être un mélange de tout ça. Mais au moins, ici, il était tranquille.

Kiyanel se dirigea machinalement vers le banc où il était avant que Yui n'arrive et s'y assit, les avant-bras appuyés sur les cuisses, mains jointes, et la tête légèrement penchée, ses cheveux lui cachant les yeux. Il attendit. Ce qu'il attendit, il ne le savait pas, mais au moins il était seul.

Nits regarda autour d'elle. Ce grand hall l'impressionnait. Sous ce haut plafond, elle se sentait encore beaucoup plus petite, si petite, toute perdue. Elle apercevait devant elle par la porte vitrée la grande cour du campus mais elle n'osait déjà pas s'approcher. Un pas de plus, c'était un pas de plus vers l'inconnu. Elle savait qu'elle aurait dû chercher tout de suite à se repérer. Savoir où était sa chambre, où était le réfectoire. Mais elle n'osait pas. Elle restait au milieu de ce grand hall, toute seule, sa valise à roulettes posée à côté d'elle. Il n'y avait personne auprès de qui se renseigner. Même si elle avait vu quelqu'un, aurait-elle osé s'approcher, dire qu'elle était perdue ?

Elle pivota dans la brusque et folle envie de repartir quand son regard accrocha une silhouette assise sur un banc contre le mur près de l'entrée. Elle ne voyait d'elle qu'une masse de longs cheveux très pâles. Une fille aux cheveux longs, une étudiante comme elle... Peut-être pourrait-elle...

Elle n'avait pas l'air méchante mais elle n'osait pas aller vers elle. Elle resta au milieu du hall, indécise. Sa queue se balançait timidement comme chaque fois qu'elle était aux prises avec une émotion de peur irraisonnée. Ses oreilles baissées se cachaient presque dans ses cheveux. Elle se mordillait la lèvre inférieure dans l'espoir désespérément vain de trouver quelques mots à dire pour se tirer de cette terrible situation.

Elle fit un pas, le coeur battant à exploser.

- Excusez-moi...

Elle savait que sa voix était à peine audible. Elle rassembla tout son courage pour répéter plus fort et miaula doucement :

- Excusez-moi, mademoiselle....

Et elle approcha résolument encore d'un pas.

Kiyanel laissait ses pensées défiler dans sa tête. Il refaisait mentalement le déroulement de cette journée qui avait très mal commencé, quand une petite voix l'interrompit. C'était une voix à peine audible de fillette. Il se croyait seul, il ne l'avait même pas entendu entrer ! La voix reprit avant même que Kiyanel ait eu le temps de se redresser.

"Excusez-moi, mademoiselle...."

Mademoiselle ? Il y avait donc une autre personne ici ?! Stupeur. Kiyanel ne pensait pas avoir autant baissé sa garde. Il leva les yeux afin de voir la fillette et la demoiselle et constatat qu'il n'y avait qu'une seule personne. La fillette le regardait. Il n'y avait qu'eux dans ce hall. Dans un sens, ça le rassurait un peu, car il se demandait comment il avait fait pour ne pas entendre arriver deux personnes. Mais d'un autre côté, cela voulait dire que la fillette lui parlait à lui. Elle l'avait pris pour une fille... Bon, passons.

Kiyanel regarda la gamine. Elle avait l'air d'avoir une dizaine d'année et semblait particulièrement timide. Et, autre chose évidente, c'était une neko. Encore une ! A croire qu'il n'y aurait bientôt plus que des nekos au campus ! La fillette semblait perdue, timide, inquiète. Et elle avait demandé de l'aide à Kiyanel. Il soupira mentalement et se leva.

En quelques pas il franchit les quelques mètres le séparant de la gamine et lui dit :

- Tu es perdue et tu veux que je te conduise à ta chambre ?

Une voix calme et neutre. Il ne cherchait pas à se rapprocher d'elle, il ne voulait pas lui faire de mal.

- Oooooh....

Le miaulement de Nits était à peine audible mais sa confusion était intense : elle l’avait appelé « mademoiselle » et c’était un garçon ! Elle avait été trompée par ces longs cheveux pâles. Elle se sentit bête, encore plus perdue. Elle aurait voulu s’enfuir au loin, s’enfouir dans le sol, disparaître.

- Oooooh....

Elle ne savait plus que miauler cela à présent ! Elle avait très nettement conscience du tableau pitoyable qu’elle offrait, avec sa silhouette recroquevillée, sa queue balançant nerveusement, ses oreilles repliées sous ses cheveux. Elle tournicota sur elle-même, aperçut la grande porte qu’elle avait franchie quelques minutes plus tôt, intimidée déjà et pourtant si prête à conquérir le monde ! Elle esquissa un mouvement de retraite vers cette issue qui mettrait fin à son embarras. Mais elle ne pouvait s’enfuir, il était là, devant elle, à lui barrer la route !

- Oooooh....

Allons, elle devait se ressaisir. Ce n’était pas une fille aux longs cheveux mais c’était un étudiant du campus, il saurait la renseigner. Après tout, elle n’allait pas rester dans ce hall jusqu’au soir !

- Excusez-moi... monsieur...

En prononçant ces mots, elle sentit une houle de feu éclabousser son visage. Elle n’aimait pas se sentir rougir. Cela lui donnait l’impression de souligner d’un trait rouge la bévue qu’elle avait commise. Surtout là, alors qu’il ne semblait rien avoir remarqué puisqu’il n’y faisait pas allusion. Il lui avait même proposé très gentiment de l’aider. Elle réunit son courage et souffla :

- Oui, je suis perdue. Vous pouvez me dire ce que je dois faire ?

Et elle leva sur lui un regard tout plein de la confiance qu’elle voulait mettre en ce gentil jeune homme serviable.

La gamine semblait toute confuse. Ses joues s’étaient empourprées et c’était comme si elle avait perdu l’usage de la parole. Elle était recroquevillée sur elle-même, se contentant de miauler légèrement un faible "ooooh". C’était bien la veine de l’ange, ça. Il se retrouvait devant une gamine qui était trop timide pour lui exposer son problème. Pauvre gamine... L’ange hésita à la prendre doucement dans ses bras, comme pour la rassurer, mais il ne le fit pas. Déjà, cela n’aurait peut-être pas l’effet escompté. En plus, il n’avait pas envie de se rapprocher autant d’elle. Il soupira mentalement. Tant que la gamine ne lui dirait rien d’autre que ce "ooooh", Kiyanel ne pourrait rien faire pour elle. Et il ne pouvait pas non plus s’en aller comme ça, et la laisser sur place, toute recroquevillée, et les joues toutes rouges. Elle n’aurait pas été capable de bouger et aurait sans doute passé toute la journée ici, jusqu’à ce qu’un surveillant passe et la prenne en charge. Elle serait encore plus traumatisée... Il ne pouvait pas lui faire ça, à cette fillette.

Ah, elle semblait retrouver l’usage de la parole car elle s’excusa, rectifiant cette fois sa façon de s’adresser à son aîné. En l’appelant "monsieur", elle rougit à nouveau. Elle ne savait donc faire que cela ? Au moins, elle n’était pas bruyante, c’était déjà ça, car quitte à devoir supporter un défaut, autant que ce soit un défaut pas dérangeant. Et de voir les joues d’une gamine se teinter de rouge n’était pas particulièrement dérangeant pour les autres personnes autour d’elle. Pour elle ça l’était probablement davantage... mais bon, là n’était pas la question.

La gosse s’était perdue, elle ne savait pas quoi faire. C’était vaste, comme question, ça... Ce qu’elle devait faire tout de suite ? Rien n’était obligatoire, il n’y avait pas d’ordre d’actions imposé. Juste un ordre logique, comme aller poser sa valise dans sa chambre en premier, avant de visiter le campus, pour ne pas trimbaler ses affaires partout. Bon, on ferait ça...

- Pour commencer, tu devrais aller ranger tes affaires dans ta chambre. C’est laquelle ? Le numéro est inscrit sur la lettre que le campus t’a envoyée.

Et maintenant, une fois de plus, il allait accompagner un neko à sa chambre... Il soupira mentalement et attendit la réponse de la fillette, en espérant qu’elle connaisse son numéro de chambre. Si elle l’ignorait, ils devraient regarder sur la lettre, si elle l’avait amenée. Sinon, il faudrait passer au bureau des surveillants...